Sophie Désir, une traductrice au chevet de « Dr House »jeudi 28.08.2008, 04:51 - PAR JULIEN LÉCUYER
| DOUBLAGE |Si vous comprenez l'humour noir de Gregory House, c'est un peu grâce à elle.
Depuis trois ans et demi, la Lilloise Sophie Désir se colle à l'adaptation des textes américains de la série médicale à succès « Dr House ». Un casse-tête renouvelé chaque semaine qu'elle ne lâcherait pour rien au monde.
«
Rencontrer Hugh Laurie ? Oh non, je serais incapable de lui parler ! » Sophie Désir est comme ça. Gregory House, joué par le charismatique Hugh Laurie, a beau partager sa vie depuis trois ans et demi, elle garde pour son héros favori des yeux de midinette. Et pourtant, s'il hypnotise le petit écran tous les mercredis sur TF1, c'est aussi grâce aux mots qu'elle lui glisse entre les lèvres.
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Sophie Désir, qui habite dans le quartier de Fives à Lille, n'a pas toujours fréquenté le misanthrope docteur de l'hôpital Princeton-Plainsboro. Formée aux métiers du lexique et de la traduction à l'Université de Lille III - l'un des rares UFR dédié au doublage et au sous-titrage en France -, elle débute sa carrière à la fin des années quatre-vingt. «
C'était l'époque de l'explosion des chaînes de télé. Canal +
est née. La Cinq
de Berlusconi aussi. »
Un gisement inépuisable pour les traducteurs qui se forment à la rude école des soaps. «
On ne s'en rend pas compte, mais ce genre de séries est très dur à adapter, explique Sophie Désir.
C'est toujours filmé en gros plan, ce qui pose problème pour le synchronisme. Les dialogues ont beau être simples, il faut réussir à éviter les répétitions du style : "OK John, bien sûr John...
". »
Enquête à l'italienne ; Marié, deux enfants ; Deadwood... Sophie Désir enchaîne. Elle trouve au dispensaire du
Docteur Quinn, femme médecin un avant-goût d'analgésique, pourrait-on dire, avant la Vicodin chère au docteur House. C'est vraiment pour lui que la très littéraire Sophie Désir va revêtir la blouse blanche. «
L'adaptateur doit inventer des dialogues d'ambiance. Mais que peuvent bien se dire des médecins en salle d'op'? » Pas question de singer la réalité : «
En fait, ils parlent de leurs vacances, de bagnoles ! Il faut inventer. » « Pour adapter Chicago Hope sans internet, j'étais aidée par une amie infirmière. Sur House , j'ai demandé que mon travail soit visé par un médecin. Par sécurité. » Elle sourit : «
Je ne suis pas sûre que tout soit crédible, mais ça se tient. »
Plus que le verbe médical, néanmoins, c'est l'humour cynique et les traits d'esprit du bon docteur qui surchauffent les neurones de la traductrice. «
C'est un casse-tête quotidien. » Comme lorsque l'ex-femme de Wilson, l'ami de House, baptise son chien d'une anagramme peu sympathique de « docteur Greg House ». «
Grâce à mon Scrabble, explique Sophie Désir,
j'ai trouvé "Hector gros dégueu
". J'étais très fière. Sauf qu'House répondait par une autre anagramme. Là, j'avoue, j'ai contourné l'obstacle. »
Riz contre cigarettes Les impasses linguistiques ont, cependant, bien souvent une origine extérieure. Quand la loi Évin s'insinue, par exemple, entre les lignes : «
En consultation, House prescrit à un patient cancéreux deux cigarettes par jour. Chez TF1, c'est le scandale. Pas question de laisser ça. Finalement, dans la version française, House prescrit deux bols de riz. J'ai dû changer tout le dialogue qui s'ensuit. J'étais furieuse. » Les noms de marque, les références culturelles passent aussi sec à la moulinette du service marketing. La ménagère de moins de 50 ans doit tout comprendre, répète TF1. Autre disparition, cette fois inévitable : les blagues de House sur l'accent australien de son interne Robert Chase. Et non, si vous vous interrogez, en ch'ti, ce n'était pas possible...
Ces écueils n'émoussent en rien la gourmandise de Sophie Désir à l'égard de
Dr House. «
Ce fut une révélation autant qu'un challenge », se réjouit-elle, même si elle admet combien le héros occupe chaque instant de sa vie. «
On ne peut pas imaginer. Quand on bosse huit heures par jour sur un épisode, c'est comme la famille. On y pense tout le temps. Devant la caissière du supermarché, devant ma propre fille, je m'aperçois que je pense à ce qu'il dit. » Saoulant ? Ses yeux pétillent : «
Surtout pour mon entourage ! » •
PHOTO ALEXIS CHRISTIAEN